Diderot, La Religieuse - Présentation [6 juillet 2022]

 Description

Nous disposons, sur l'écriture de La Religieuse, d'un document exceptionnel, la « Préface-Annexe » diffusée dans la Correspondance littéraire en 1770, qui raconte la mystification montée par Diderot et ses amis pour ramener le marquis de Croismare à Paris en l'intéressant au sort d'une religieuse échappée de son couvent. Mais cette mystification constitue elle-même déjà un dispositif fictionnel, d'autant qu'elle est récurrente chez Diderot, des Bijoux indiscrets à Jacques le Fataliste.

Ce dispositif complexe pose le problème du statut de la fiction dans La Religieuse, qui procède du complot, du récit rétrospectif et de la satire religieuse. Chacune de ces entrées demande cependant à être interrogée, car elle est d'emblée subvertie par Diderot : le marquis n'est pas le véritable objet du complot, qui est le lecteur ; la rétrospection est faussée par l'abolition de la distance entre le temps de l'innocence et le temps du récit (je ne sais pas ce que je sais, au lieu de je ne savais pas alors ce que je sais aujourd'hui) ; la satire des couvents est en quelque sorte annulée par le lyrisme de la dévotion mystique dont Suzanne sait faire preuve.

Le roman par ailleurs constitue un témoignage remarquable de la révolution sémiologique à laquelle Diderot procède au tournant des années 1750 et des années 1760 : alors qu'il découvre la peinture et commence à écrire les Salons, Diderot met en œuvre dans ce récit l'esthétique du tableau qu'il a théorisée dans les Entretiens sur le Fils naturel, et repense la création romanesque à partir du dispositif scénique dont le discours De la poésie dramatique formulait le modèle.

Ce qui s'exprime dans le dispositif scénique de La Religieuse c'est le corps révolté. Le vocabulaire du corps est omniprésente dans le récit de Suzanne, un corps qui dissémine le sujet et en paralyse la délibération, le choix, le jugement. Mais le corps, c'est aussi ce qui se montre dans la scène, fait scandale et exprime sans paroles le désir de liberté. Le corps, dans la scène, s'interpose entre la situation et celui qui la juge : le corps révolté est un corps interposé.

Mots clés : corps revolte diderot religieuse