Esthétiques anarchistes : Répliquer au politique – l’imprévisible comme art [7 avril 2023]

 Description

Paul Bernard-Nouraud

« Répliquer au politique – l’imprévisible comme art »

 Cette intervention dans le cadre du séminaire « Esthétiques anarchistes. L’art et le non-gouvernable » entend ménager un espace théorique pour la notion d’imprévisible en art – à l’imprévisible comme art. Par définition, cet espace serait interstitiel. L’imprévisible se situerait en effet entre le visible et l’invisible, ce qu’on n’aurait pas vu venir ; entre le représentable et l’irreprésentable, ce qui pourrait être représenté ; entre l’artistique et le politique, l’art deviendrait politique.

En ce sens, l’imprévisible serait une réplique qu’adresse l’art au politique. Si, ainsi que le rappelle Maurice Merleau-Ponty, d’un côté, « gouverner, comme on dit, c’est prévoir », et que, de l’autre, « il y a de l’imprévisible », d’où « la tragédie », selon lui, alors l’art serait un moyen de susciter de l’imprévisible, voire du tragique, afin de répliquer au politique d’une manière telle que le fait politique s’émancipe de l’injonction gouvernementale. À l’art machiavélien de tout prévoir s’oppose de plus en plus un art de l’imprévisible.

Les dispositifs contemporains visant à faire surgir l’imprévu peuvent être de natures très différentes, selon qu’ils sont médiatisés par des artefacts, notamment de type contre-monumental, comme pour Le Monument contre le fascisme (1986-) d’Esther Shalev-Gerz et Jochen Gerz, ou le Monument aux étrangers et aux réfugiés (2017) d’Olu Oguibe, par des lieux requalifiés, comme avec The Mosque (2015) ou Verlust der Mitte (2018) de Christoph Büchel, ou bien par les corps des artistes eux-mêmes, comme chez Steve Cohen (Chandelier, 2001, Cleaning Time, 2007, Coq Project, 2013).

Dans tous les cas, cependant, ces dispositifs générant de l’imprévisible provoquent aussi, par contrecoup, une réaction sociale, une résistance institutionnelle ou une réponse étatique, qui, négativement et souvent violemment, démontrent combien l’imprévisibilité artistique perturbe la gouvernabilité politique.

Mots clés : anarchie arts arts plastiques esthetique philosophie