L’Univers à l’écran au XXIe siècle - Particules [31 mai 2023]

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CINÉMA DES PARTICULES : RÉALISME AGENTIEL ET INSTABILITÉS QUANTIQUES DE L’EMULSION

Elio Della Noce

Docteur en études cinématographiques, Aix-Marseille - Université, laboratoire LESA

Les pratiques expérimentales du « film direct » sur émulsion délaissent depuis les années 1970 l’enregistrement d’images en caméra pour intervenir matériellement sur la bande celluloïd. Faite support ou surface d’action, la fine couche d’émulsion habituellement réservée à la révélation interne des images se métamorphose en un milieu concret, un canevas cosmique, un fond diffus sur lequel les cinéastes engendrent des chocs de matière à l’échelle microscopique

Ces techniques variées sur émulsion, rattachées à une taxinomie savante des « chimigrammes », « réticulations », et autres transmutations photochimiques, actualisent une ontologie matérialiste-alchimiste du cinéma à laquelle conviait Jean Epstein dans L’intelligence d’une machine (1946). Depuis le problème posé par le cinéaste-poète du « déterminisme ou du hasard intra-atomique », elles tendent à rendre visible les comportements des particules et donc à faire du film le support esthétique où investir les concepts les plus contemporains de la théorie quantique. Plus que rendre visible les mouvements ou le temps des particules, nous pourrions dire que ces manipulations de chimie organique « les animent » puisque les étroits rubans de film sur lesquelles des points de lumières et de couleurs entrent en transe agentielle, auront dans la salle de projection la vibration étrange des galaxies.

Plusieurs écrits de théoriciens contemporains des médias nous mettent sur la voie d’un néomatérialisme empreint de théorie quantique dans les pratiques actuelles de l’émulsion. Dans un article de 2008, « Le support instable », Yann Beauvais étudie « les mécanismes de dissolution » utilisés sur les images argentiques recyclées du cinéaste allemand Jürgen Reble. Il décèle dans son film Instabile Materie (1995), conçu en collaboration avec le laboratoire des particules élémentaires à Hambourg, un enjeu nouveau d’écologie des médias en qualifiant la pratique du cinéaste d’« esthétique post-cinématographique » qui « se repaît des ultimes sursauts d’un support face au numérique ». Beauvais y voit un nouveau rapport de la pratique du film à l’ontologie réaliste et au contingent puisque selon lui « on ne sait plus si on est avant ou après le cinéma. Si on est avant ou après la création ». Plus récemment, Kim Knowles met le support celluloïd sur la piste du « réalisme agentiel » de la physicienne et philosophe américaine Karen Barad. La physicienne discute le « postulat quantique » de Niels Bohr en débattant les principes de causalité et d’identité associés aux phénomènes de la vie quantique. Le terme d’« intra-actions » est substitué à celui d’« interactions » par la philosophe féministe, posant que les phénomènes n’existent que dans l’actualité instable de leurs intra-actions atomiques, et qu’ils ne préexistent pas à en tant qu’objets.

La théorie du « réalisme agentiel » est l’occasion pour nous d’investir plus en détail les formes néomatérialistes de l’instabilité, du désordre agentiel suscités dans ce cinéma des particules, et de visiter en quoi les films expérimentaux de Jürgen Reble, Emmanuel Lefrant et Esther Urlus aideraient à rendre visible la vie quantique.

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